Le chercheur et la souris

août 31, 2016

Le chercheur et la souris : la science à l’épreuve de l’animalité. Georges CHAPOUTHIER et Françoise TRISTANI-POTTEAUX, CNRS éditions, 2013, 207 p.

Résumé (extrait de la 4e de couverture) : « Françoise Tristani-Potteaux raconte le parcours de Georges Chapouthier, neurobiologiste et philosophe qui a vécu cette difficile contradiction. Elle revisite son œuvre, analyse les événements, les interrogations et les désarrois qui l’ont conduit à devenir, tout en poursuivant une brillante carrière scientifique, un militant des droits de l’animal. »

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Ce que j’ai appris (en vrac) :

  • Georges Chapouthier, né en 1945, est issu d’une famille d’érudits, avec un père archéologue et professeur de grec ancien et une mère professeur de lettres classiques.
  • Le meilleur ami de Georges Chapouthier durant sa scolarité au lycée Montaigne à Paris fut un certain Patrice Chéreau qui lui fit partager sa passion pour le théâtre et le cinéma.
  • Chapouthier a conduit sa thèse sur un sujet qui paraissait à l’époque prometteur mais qui s’est avéré au final ne pas « marcher » : le transfert de mémoire d’un individu à l’autre par voie chimique. On soumet des animaux à un certain apprentissage, puis un extrait de leur système nerveux central est injecté à d’autres animaux receveurs pour étudier si ceux-ci « héritent » en même temps de l’acquis des donneurs.
  • En biologie, Chapouthier a principalement étudié le lien entre mémoire et anxiété, démontrant que certaines molécules anxiogènes amélioraient les capacités de mémorisation quand elles étaient administré à petites doses, et détérioraient ces mêmes capacités à fortes doses, voire étaient susceptibles de provoquer des crises d’épilepsie.
  • Parallèlement à ses travaux de biologiste, Chapouthier a soutenu une thèse de philosophie en 1986 sur la définition d’une éthique de l’homme de vis-à-vis de l’animal et s’est progressivement engagé de plus en plus dans la défense des droits de l’animal.
  • L’ouvrage retrace à grands traits les principales conceptions de l’animal dans différentes traditions philosophiques et religieuses et souligne la rupture constituée par la philosophie cartésienne et sa théorie de l’animal-machine :
    • pour Descartes, l’homme est dual et le corps mortel et matériel se distingue fondamentalement de l’âme immortelle et immatérielle.L’âme est le propre de l’homme et donc, si l’animal ne saurait avoir d’âme, il se réduit à une corporalité qui le rapproche de la machine.
    • le cartésianisme postule donc l’homme comme maître de la nature et le disciple de Descartes, Malebranche, approfondit jusqu’à la caricature la thèse de l’animal-machine et l’idée que l’animal ne ressent pas la souffrance.
    • cette tendance lourde de la philosophie occidentale va se trouver encore renforcée par le scientisme du XIXe siècle et la croyance au progrès infini de la technique et de la connaissance. Claude Bernard fonde le modèle d’expérimentation animale au nom du devoir du savant de faire progresser l’humanité.
    • quelques philosophes contestent néanmoins cette conception de l’animal : Montaigne, qui prône une attitude charitable envers les êtres proches de nous par leur intelligence ; Bentham qui pose véritablement la question de la souffrance animale ; Schopenhauer et son concept du « vouloir-vivre » qu’il étend aussi aux animaux.
  • Le darwinisme replace l’homme dans le règne animal et fait pour ainsi dire de l’homme un « animal comme les autres ». L’homme n’est plus à part mais se situe dans une continuité avec le monde animal.
  • Les progrès de la biologie vont – et paradoxalement dans un sens – montrer la grande proximité de l’homme et de l’animal (en s’appuyant fréquemment sur l’expérimentation animale pour ses démonstrations).
  • Mention (rapide) de Peter Singer et de sa critique du spécisme dans son ouvrage fondateur, La libération animale (1975)
  • Chapouthier se situe clairement dans cette pensée darwinienne et s’évertue à montrer la continuité et la proximité entre l’homme et l’animal :
    • évoque la culture animale et l’utilisation d’outils par un certain nombre d’animaux (faculté transmise par apprentissage à leur filiation). Cependant, seul l’homme a la capacité à transmettre à ses descendants des connaissances cumulatives avec les générations.
    • notions de morale chez l’animal : exemple de l’empathie et de la solidarité chez les grands singes (travaux de Frans de Waal)
  • La biologie reconnaît depuis longtemps que les animaux sont des êtres sensibles, qui ressentent la douleur et des émotions. Chapouthier explique que la biologie contemporaine décrit les mécanismes liés à la douleur en trois degrés de complexité croissante :
    • la nociception : l’animal perçoit les stimuli qui peuvent être nocifs pour son intégrité physique
    • chez les vertébrés, ces mécanismes nociceptifs sont associés à des manifestations émotionnelles (on parle alors de douleur). Chez tous les vertébrés, ces manifestations émotionnelles sont gérées par le système limbique
    • quand les mécanismes nociceptifs ou la douleur sont perçus par une conscience, on parle de souffrance (gérée par le cortex cérébral)
    • forte méconnaissance des mécanismes qui sous-tendent la douleur chez les invertébrés alors que certains ont démontré d’importantes capacités cognitives (notamment les pieuvres et d’autres céphalopodes).
  • Chapouthier devient militant actif de La Fondation Droit Animal (LFDA) en 1999. Cet organisme fondé en 1977 et reconnu d’utilité publique a notamment rédigé une déclaration universelle des droits de l’animal, proclamée par l’UNESCO en 1978. Cette fondation a joué un rôle de lobbying pour la réforme des articles du Code Civil considérant les animaux comme des biens meubles.
  • Philosophiquement, Chapouthier se fonde sur la notion d’éthique : l’éthique est indivisible comme la conscience et un comportement éthique doit s’appliquer également envers tous les êtres sensibles. En temps que biologiste, il admet cependant que l’expérimentation animale demeure encore nécessaire dans certains domaines mais la LFDA promeut le remplacement progressif de toute expérimentation animale par des méthodes substitutives chaque fois que possible.
  • Chapouthier réfléchit aussi aux notions de vivant et de complexité et élabore le modèle de la mosaïque. L’évolution du vivant tend à se faire vers davantage de complexité et cette complexité se construit sur le modèle de la mosaïque : l’application répétée de 2 principes de base, la juxtaposition et l’intégration.
    • dans le monde vivant, la juxtaposition consiste dans la mise en parallèle d’éléments d’un même niveau de complexité, comme les cellules ou les gènes
    • puis, au bout d’un moment, certains de ces éléments se spécialisent dans une fonction ; on parle de mutation ou de différenciation
    • une nouvelle entité, d’un ordre supérieur, prend naissance et rassemble les parties juxtaposées et intégrées
    • cette théorie de la mosaïque s’applique bien au fonctionnement du cerveau et d’un point de vue épistémologique, ce concept a essaimé dans d’autres disciplines comme la philosophie ou la linguistique
  • Chapouthier et le végétarisme : position assez mesurée, expliquant que l’homme s’est biologiquement constitué comme carnivore et que son système digestif et sa dentition le démontrent. Néanmoins, l’homme est en mesure de faire évoluer son régime alimentaire. Pas de position affirmée de la Déclaration des droits de l’animal en la matière qui recommande simplement un traitement éthique des animaux utilisés pour la consommation humaine.
  • Chapouthier milite pour une éducation à la prise en compte de la souffrance animale, dès l’école.
  • Chapouthier a également réfléchi sur la comparaison entre l’animal et la machine, et les questions éthiques que commencent à poser l’apparition prochaine ou attendue de machines intelligences. Peut-on envisager des machines souffrantes ? Doit-on accorder des droits aux machines ?

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