Malscience

février 12, 2019

Nicolas Chevassus-au-Louis. Malscience, Paris : Seuil, 2016, 203 p. (Science ouverte)

Interrogés de manière anonyme, 2% des scientifiques reconnaissent avoir inventé ou falsifié des données. Biologie et médecine sont, de loin, les disciplines les plus touchées. Ce livre revient sur une série de scandales internationaux et passe en revue les différents types de fraudes ou de négligences plus ou moins conscientes qui mettent à mal la crédibilité et la fiabilité des recherches scientifiques.

Nicolas Chevassus-au-Louis. Malscience (2016)

5 août 2014 : suicide du biologiste japonais Yoshiki Sasai suite à la découverte de la fraude d’une des chercheuses qu’il encadrait, Haruko Obokata. Celle-ci avait soi-disant démontré dans un article publié dans Nature (30/01/2014) avoir découvert une méthode permettant de transformer un lymphocyte adulte en cellule-souche pluripotente en le plongeant simplement dans une solution légèrement acide. Ces résultats s’avérèrent frauduleux, de nombreux chercheurs s’efforçant sans succès après parution de l’article de reproduire l’expérience.

Augmentation des manquements constatés à l’intégrité scientifique : hausse du nombre de rétractations d’articles notamment. Phénomène beaucoup plus important en biologie qu’en physique. En physique, tradition de rigueur beaucoup plus forte dans la collecte et le traitement des données. De plus, la compétition en physique concerne souvent quelques groupes à travers le monde, rassemblant un nombre important de chercheurs. L’autocontrôle est donc plus efficace que dans un milieu avec beaucoup de petites équipes ou de chercheurs isolés.

Tout article scientifique est en soi une narration, avec une structure de récit qui tend à présenter un déroulé idéal d’une expérience, en passant sous silence les incertitudes, les approximations, les à peu près. De plus, rendance téléologique : « remplacer par un défilé bien ordonné de concepts et d’expérience, un fouillis d’efforts désordonnés de tentatives nées d’un acharnement à voir plus clair » (François Jacob – cité pp. 40-41).

Exemple des retouches nombreuses d’images en biologie cellulaire, rendues possibles par les avancées technologiques. Le quart des manuscrits soumis à la revue Journal of cell biology (entre 2002 et 2013) comprenait des images arrangées, embellies, manipulées d’une manière ou d’une autre. Peu de vraies fraudes dans l’ensemble mais plus un souci d’enjoliver les présentations, de les rendre plus conformes aux connaissances théoriques communément admises.

L’auteur pointe aussi la quasi-absence de publications relatant des échecs, des impasses. Les chercheurs n’ont semble-t-il que de bonnes idées, et les recherches publiées débouchent toujours sur des trouvailles. On ne publie que ce qui marche ou on réécrit l’histoire a posteriori : on formule l’hypothèse une fois les résultats connus.

En 2011, 3 chercheurs de la firme Bayer ont examiné 67 projets de recherche internes à la firme dans des domaines médicaux. Seulement 21% des articles qui avaient conduit au lancement de ces projets se sont avérés décrire des données reproductibles entre leurs mains. Souci accru des firmes de s’appuyer sur des données fiables avant de financer des recherches sur la création d’un médicament ou d’un produit qui peut entraîner des coûts de recherche-développement colossaux. Fréquente impossibilité de reproduire les résultats en biologie : variations dans l’environnement de l’expérience, dans les gestes et manipulations des chercheurs, dans les modalités de conservation des substances… Tentation aussi de truquer la description des expériences en omettant un certain nombre de détails pour que la concurrence ne puisse pas reproduire les expériences.

Situation concurrentielle accrue dans le domaine à la recherche : course à la publication avec l’indexation des carrières des chercheurs au nombre de publications… Système d’allocation des financements de recherche soumis à l’ «effet Matthieu » : on donnera à celui qui a et on ôtera à celui qui n’a pas…

Autres atteintes à l’intégrité scientifique : plagiat et vol de résultats, voire fabrication totale (ex. Elias Alsabti)… Possibilité de recourir à des agences pour faire ajouter son nom à une publication. Rédaction automatique avec des logiciels de rédaction.

Qui paye décide : orienter les résultats de sa recherche en fonction des attendus de ses financeurs (effet financement décrit par Daniele Fanelli). Action de l’industrie du tabac pour financer des recherches visant à semer le doute sur l’effet cancérogène du tabagisme, en jetant un « voile de fumée » pour pointer d’autres facteurs éventuels. Même logique avec les recherches de Séralini financées en partie par Auchan et Carrefour qui développent une gamme de produits garantis sans OGM.

Problèmes liés à l’édition scientifique : éditeurs prédateurs comme parasites au développement de l’open access / poids des grands éditeurs…

Omerta française : cas particuliers (ex. Voinnet…).

Parmi les recommandations finales : le mouvement slow science, publier moins, décorréler l’évaluation des recherches des indicateurs bibliométriques…

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