Antoine Lilti, L’invention de la célébrité : 1750-1850, Paris : Pluriel, 2022, 442 p. Le livre retrace la naissance de la célébrité dans son acception moderne dans l’Europe des Lumières. La célébrité, telle qu’on la connaît aujourd’hui, trouve son essor à la conjonction de plusieurs développements sociaux, culturels et techniques : l’essor de la presse imprimée, la reproduction des images qui permet à des figures d’être connues et reconnues par le plus grand nombre, le développement des nouvelles techniques publicitaires et la commercialisation des loisirs. Le livre passe en revue les différentes figures de la célébrité qui ont émergé entre 1750 et 1850 : écrivains (Voltaire, Byron), figures politiques (Mirabeau, Napoléon, Garibaldi ou George Washington), comédiens et artistes (Liszt, Talma, la comédienne britannique Sarah Siddons). L’auteur s’attarde plus particulièrement sur le cas de Jean-Jacques Rousseau, sorte de figure paradigmatique de toutes les dimensions de la célébrité. Rousseau donne à voir une célébrité autant recherchée que rejetée, notion ambivalente qui fait de la reconnaissance publique un poids et donne aux personnes devenus célèbres l’impression de ne plus s’appartenir. Antoine Lilti traite également de la célébrité politique, avec l’apparition du concept de popularité qui devient une composante essentielle du jeu démocratique.
Russell Banks American Darling, Actes Sud, 2005, 393 p. Mais j’avais passé trop de temps à me plonger dans ces romans et nouvelles du Sud, et pendant de nombreuses semaines de ce premier été ils m’ont fourni le miroir dans lequel je voyais l’endroit où j’étais venue et les gens, noirs et blancs, qui y vivaient. En fin de compte – et c’est ce qui se produit invariablement -, la littérature a été délogée par la réalité, mais pendant un certain temps ma vie quotidienne a connu la clarté, l’intensité et la certitude de la fiction (p. 23) Dans un premier temps nous parlions de masque à masque comme le font tous les amoureux – et ces longues heures de discussion, les semaines et les mois passant, transformaient peu à peu, atome par atome, le masque de l’autre en véritable visage et rendaient le masque qu’on portait soi-même aussi invisible à soi qu’à l’autre. C’était ainsi qu’on arrivait à ne plus sentir les masques et à renouveler la connaissance qu’on avait de soi. J’ai pensé : C’est donc cela, être amoureux ! Je comprends. On devient quelqu’un de tout neuf ! Quelqu’un d’inconnu. (p. 110) C’est cela, le véritable Rêve…
Milan Kundera L’insoutenable légèreté de l’être, Gallimard, NRF, 2012, édition originale 1987, 394 p. Ce qu’elle avait rencontré inopinément dans cette église, ce n’était pas Dieu mais la beauté. En même temps, elle savait bien que cette église et ces litanies n’étaient pas belles en elles-mêmes, mais belles grâce à leur immatériel voisinage avec le Chantier de la jeunesse où elle passait ses jours dans le vacarme des chansons. La messe était belle de lui être apparue soudainement et clandestinement comme un monde trahi. Depuis, elle sait que la beauté est un monde trahi. On ne peut la rencontrer que lorsque ses persécuteurs l’ont oubliée par erreur quelque part. La beauté se cache derrière les décors d’un cortège du 1er mai. Pour la trouver, il faut crever la toile du décor. p. 142 Tant que les gens sont encore plus ou moins jeunes et que la partition musicale de leur vie n’en est qu’à ses premières mesures, ils peuvent la composer ensemble et échanger des motifs (comme Tomas et Sabina ont échangé le motif du chapeau melon) mais, quand ils se rencontrent à un âge plus mûr, leur partition musicale est plus ou moins achevée, et chaque mot, chaque objet…
Monica Sabolo La vie clandestine, Paris : Gallimard, 2022, 318 p. J’ai lu quelque part que le souvenir n’est pas le souvenir de l’instant T où l’événement a eu lieu, mais le souvenir de la dernière fois où le souvenir a surgi. Nos souvenirs sont des souvenirs de souvenirs de souvenirs. p. 35 Contrairement à ce que tout le monde semble croire désormais, parler n’est pas toujours une bonne idée. Parler est dangereux. Les mots entraînent d’autres mots en retour. Des mots pour vous faire taire, vous faire passer l’envie de recommencer. Tant que je ne posais pas ces questions auxquelles, de toute manière, personne n’avait l’intention de répondre, je pouvais tenir debout. Le pire n’était pas certain. La violence n’était pas nommée, et je souriais comme on agite un drapeau blanc pour se soumettre au vainqueur. Il y avait néanmoins un prix à payer : je ne pouvais plus m’approcher de qui que ce fût. Dans une certaine mesure, j’emploie encore ce procédé aujourd’hui. Le meilleur moyen de ne pas être déçue, enragée ou désespérée par une réponse consiste encore à ne pas poser la question. p. 225 Je me demande si tous les messages qu’on envoie ne finissent…
Paul Auster Trilogie new-yorkaise, Arles : Actes Sud, 2017, 1e édition : 1987-1988, 445 p. Selon moi, don Quichotte se livrait à une expérience. Il voulait mesurer la crédulité de ses semblables. Etait-il possible, se demandait-il, de se dresser devant le monde et, avec la conviction la plus extrême, de vomir des mensonges et des bêtises ? De dire que des moulins à vent étaient des chevaliers, que la bassine d’un barbier était un heaume, que des marionnettes étaient des personnes en chair et en os ? Etait-il possible de persuader ceux qui l’écoutaient au point de leur faire approuver ses paroles alors même qu’ils ne le croyaient pas ? En d’autres termes, jusqu’à quel point les gens toléreraient-ils le blasphème pourvu qu’ils s’en divertissent ? La réponse est évidente, n’est-ce pas ? Jusqu’à n’importe quel point. La preuve en est que nous lisons encore ce livre. Il reste pour nous extrêmement amusant. Et c’est finalement tout ce qu’on veut d’un livre – être diverti. Cité de verre, p. 143 Mais les chances perdues font autant partie de la vie que les chances saisies, et une histoire ne peut s’attarder sur ce qui aurait pu avoir lieu. Revenants, p. 227…