Christine Tardieu. Comment nous sommes devenus bipèdes : le mythe des enfants-loups, Paris : Odile Jacob, 2012, 223 p.
Christine Tardieu est biologiste de l’évolution, paléontologue, spécialiste de la morphologie fonctionnelle et biomécanicienne.
L’ouvrage revient sur la spécificité de la bipédie chez l’espèce humaine, seul mammifère à se déplacer en permanence sur ses deux membres inférieurs. Cette marche est-elle inscrite dans les gènes ? Quels changements se sont produits au cours de l’évolution de l’espèce qui ont adapté la morphologie humaine à la bipédie ?
Christine Tardieu part du mythe des enfants-loups, ces enfants élevés par des animaux sauvages et qui ne se sont pas redressés pour marcher et sont demeurés quadrupèdes. Les cas recensés d’enfants-loups « rééduqués » ont finalement appris la bipédie mais avec énormément de difficultés.
La plupart de ces cas se sont révélés faux (supercheries comme le cas emblématique d’Amala et Kamala, deux petites filles indiennes qui auraient été recueillies par un pasteur dans les années 1920). C. Tardieu revient en revanche sur des cas de familles authentiquement quadrupèdes en Turquie et en Iran, cas qui seraient liés à une anomalie congénitale d’une zone du cerveau régissant l’équilibre et la motricité.
Avantages évolutifs de la bipédie : permet de libérer les mains, de développer la préhension et la saisie des objets et notamment de transporter la nourriture d’un endroit à l’autre. La bipédie a permis le développement de nouveaux rapports neuronaux entre les mains et le cerveau et a contribué à l’augmentation de la taille du cerveau.
Lien probable entre bipédie et perte des poils chez l’espèce humaine. Le fait de se redresser conduit l’homme à exposer une moindre partie de son corps au soleil et à la chaleur mais l’une des contraintes majeures est de maintenir la température du cerveau. Pour réaliser cette thermorégulation, l’espèce a perdu progressivement sa fourrure. Existence de mécanismes complexes de thermorégulation chez certains mammifères (comme le chien ou le chat) via un système d’échanges sanguins dans une zone du cerveau.
C. Tardieu évoque aussi la concurrence métabolique entre cerveau et intestins. Le cerveau est un organe très consommateur d’énergie, l’intestin aussi. Il a fallu que l’homme développe un régime alimentaire plus énergétique pour réduire la taille de son intestin et en même temps nourrir son cerveau qui a pu alors grossir en taille. C’est sans doute une des raisons du fait que l’homme soit progressivement devenu omnivore : manger de la viande puis cuire les aliments a permis de faciliter la digestion et l’intégration des nutriments, donc de rendre le processus de digestion beaucoup moins dépensier en énergie.
D’un point de vue morphologique, quand l’enfant se redresse, au fil de l’enfance, le fémur adopte progressivement un angle d’inclinaison spécifique avec l’os de la hanche et le bassin. Cette évolution est liée à l’influence de la gravité et explique les difficultés rencontrées par les enfants maintenus allongés ou empêchés de se redresser dans leurs toutes premières années à se redresser après un certain âge et à disposer d’une démarche fluide. Cette inclinaison du fémur ne se retrouve pas chez les enfants qui n’ont pas pu marcher pour une raison ou une autre.
La sélection naturelle a progressivement modelé la morphologie de l’espèce pour l’adapter à la bipédie. Cette évolution s’est réalisée de façon conflictuelle avec un autre besoin physiologique : la parturition, ce qui fait que le bébé qui naît doit réaliser un parcours complexe à travers un bassin devenu plus étroit par rapport aux autres espèces de mammifères. En se redressant, l’enfant doit aussi composer avec les lois de la gravité qui remodèlent progressivement son squelette. Comme l’écrit C. Tardieu :
on peut dire que la sélection a établi un canevas comme une adaptation première, canevas que la gravité perfectionne, comme une adaptation seconde. Dans ce contexte, on peut également suggérer que « la génétique propose et l’épigénétique dispose ».
Cf. supra, p. 196
Si la bipédie possède des avantages, elle a aussi ses inconvénients : maux de dos, fragilité des articulations des membres inférieurs… En devenant bipède et en perdant la possibilité de préhension avec ses pieds, l’homme a perdu tout un répertoire de modes de déplacement alternatifs : grimper, sauter, marcher à quatre pattes, etc.
A noter que C. Tardieu revient dans un court chapitre en fin d’ouvrage sur l’histoire des idées sur l’évolution et réalise ce distinguo fondamental entre les idées de Lamarck et celles de Darwin, qui écarte toute notion de but ou de finalité à la sélection naturelle :
Pour les lamarckiens, les canards auraient les doigts palmés pour mieux nager dans l’eau ou à force de nager dans l’eau ; pour les darwiniens, seule a survécu l’espèce de canards à doigts palmés, car ses individus sont avantagés : sur l’eau, ils échappent mieux aux prédateurs terrestres.
p. 166
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