La possession de Loudun

juin 5, 2018

La possession de Loudun. Michel de CERTEAU, Paris : Julliard, 1970

1632 : la ville de Loudun est durement éprouvée par la peste qui conduit chacun à s’enfermer chez soi, les nobles à se retirer dans leurs propriétés à la campagne et les communautés religieuses à se replier encore sur leur quant-à-soi. L’épidémie se replie à peine que plusieurs cas de possession agitent la communauté des Ursulines. C’est le début d’un épisode de « démonomanie » qui va s’emparer de cette petite ville de province et concerner jusqu’au Roi pendant 5 ans.

Certeau se livre à une autopsie méticuleuse du déroulé des événements dont chaque élément traduit quelque chose des représentations de l’époque et des luttes de pouvoir qui se jouent aux échelles locales et nationales, religieuses et politiques. Parmi les faits saillants :

  • l’importance du langage, l’importance des langues : comment parle le démon à travers les possédées, comment parlent exorcistes et médecins (en latin ou en français) qui se succèdent au chevet des religieuses ;
  • la dimension politique que prend l’affaire, Loudun étant une ville fortement marquée par l’influence huguenote, il devient important pour Richelieu de circonscrire très vite une éventuelle agitation. Richelieu envoie alors un commissaire, Laubardemont, à charge de mener l’enquête et de trouver un coupable à ces possessions ;
  • le coupable sera Urbain Grandier, prêtre libertin ayant commis quelques années plus tôt un libelle pour le mariage des prêtres et connu pour son goût des femmes (notamment celles des autres). Il est bientôt accusé par les religieuses de venir les visiter et de leur avoir jeter un sort ;
  • l’exorcisme comme spectacle public, donné comme une représentation devant des publics de tous ordres, populaire ou privilégié… Mais aussi l’exorcisme comme maltraitance des religieuses soumises à différentes épreuves psychologiques et physiques pour faire parler le démon ;
  • l’avis des sceptiques qui se placent notamment sur le terrain de la parole : comment croire la parole du Diable, menteur par excellence, quand il accuse Grandier ? Comment contourner ce paradoxe et comment forcer le démon à dire la vérité ?
  • après la mort de Grandier sur le bûcher en 1634 devant 6000 spectateurs, les possessions se poursuivent encore quelques années mais le public se lasse, la ville aspire à davantage de tranquillité et c’est un exorciste plus discret, le Jésuite Surin qui contribuera à guérir définitivement la sœur Jeanne des Anges. Après sa « libération » miraculeuse en 1637, Jeanne des Anges fera une sorte de tournée triomphale à travers la France qui la mènera à rencontrer le Roi en personne et à tirer bénéfice de sa possession. Surin, lui, deviendra à son tour obsédé par le démon
  • Certeau recense aussi l’importante activité de publications d’écrits pro et anti-Grandier après la mort de celui-ci, alors que la possession n’est pas encore terminée

Un excellent livre sur une période historique que je connais mal, parfois ardu dans son écriture mais qui donne à voir une époque et ses représentations mentales avec acuité et grande érudition.

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