Philip ROTH.Le théâtre de Sabbath (1995)
Le problème que représentait sa vie ne serait jamais résolu. Sa vie n’était pas de celles dont les objectifs sont clairs ou dont les voies sont claires, où il est possible de dire : « Ceci est essentiel et cela n’est pas essentiel, ça je ne le ferai pas parce que je ne peux pas le supporter, et ça je le ferai parce que je peux le supporter. » Il était impossible de démêler une existence dans laquelle la rébellion était la seule règle et la première des distractions.
Depuis des années, il ne lisait plus le journal et n’écoutait les nouvelles que s’il ne pouvait faire autrement. Les informations ne lui apprenaient rien. Les informations étaient faites pour que les gens en discutent et, indifférent aux ronronnements et aux conventions du cours normal des choses, Sabbath n’avait aucune envie de parler aux autres. Ca ne l’intéressait pas de savoir qui faisait la guerre à qui ou à quel endroit un avion s’était écrasé et ce qui était arrivé au Bangladesh. Il ne voulait même pas savoir qui était président des Etats-Unis. Il préférait baiser Drenka, il préférait baiser n’importe qui, plutôt que de regarder Tom Brokaw à la télévision. L’éventail de ses plaisirs était étroit et n’avait jamais inclus le journal télévisé du soir. Sabbath avait réduit de la même manière qu’une sauce réduit, ses brûleurs l’avaient fait réduire, pour rendre encore plus fort le condensé de son essence et lui permettre d’être lui-même avec plus d’insolence encore.
Eh bien, c’est ça la différence entre le vrai et le réel. Il ne nous est pas donné de vivre dans la vérité.
L’enfance, les souvenirs extraordinaires qui restent. Entre huit et treize ans, en gros, tout ce fond que l’on acquiert. Soit il est bon, soit il est mauvais. Le mien était bon. Le premier fond, celui du début, un attachement à ceux qui étaient là au moment où on apprenait l’existence des sentiments, ce que ça voulait dire, un attachement peut-être pas plus bizarre que l’attachement érotique, mais plus fort. Une bonne chose à laquelle on est content de pouvoir repenser une dernière fois – au lieu de se dépêcher d’en finir et de se tirer – , quelques grands moments, quelques grands moments de la vie d’un homme.
Nous sommes des êtres sans mesure parce que notre douleur est sans mesure, toutes ces centaines et ces milliers de manières de souffrir.
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