Nicolas MATHIEU. Leurs enfants après eux (2018) Les hommes parlaient peu et mouraient tôt. Les femmes se faisaient des couleurs et regardaient la vie avec un optimisme qui allait en s’atténuant. Une fois vieilles, elles conservaient le souvenir de leurs hommes crevés au boulot, au bistrot, silicosés, de fils tués sur la route, sans compter ceux qui s’étaient fait la malle. C’était ce truc qui passait en boucle sur M6. En général, ça donnait envie de casser une guitare ou de foutre le feu à son bahut, mais là, au contraire, chacun se recueillit. C’était presque encore neuf, un titre qui venait d’une ville américaine et rouillée pareil, une ville de merde perdue très loin là-bas, où des petits blancs crades buvaient des bières bon marché dans leurs chemises à carreaux. Et cette chanson, comme un virus, se répandait partout où il existait des fils de prolos mal fichus, des ados véreux, des rebuts de la crise, des filles mères, des releuleuh en mob, des fumeurs de shit et des élèves de Segpa. A Berlin, un mur était tombé et la paix, déjà, s’annonçait comme un épouvantable rouleau compresseur. Dans chaque ville que portait ce monde désindustrialisé et univoque, dans…