L’Afrique ancienne : de l’Acacus au Zimbabwe

février 9, 2020

François-Xavier Fauvelle, L’Afrique ancienne : de l’Acacus au Zimbabwe : 20000 avant notre ère-XVIIe siècle, Belin : Paris, 2018, 678 p. (Mondes anciens)

Cette somme dirigée par François-Xavier Fauvelle vise à retracer l’histoire multiforme du continent africain avant les conquêtes coloniales et son entrée dans le nouvel ordre mondial né des « grandes découvertes européennes ». L’ouvrage explore toute la diversité des civilisations africaines depuis la Préhistoire jusqu’à l’époque moderne, entre royaumes conquérants et cités marchandes, communautés de pêcheurs ou de chasseurs-cueilleurs et éleveurs nomades, populations musulmanes et chrétiennes. L’ouvrage montre surtout à quel point l’histoire de l’Afrique, de par la rareté des sources écrites, nécessite de s’appuyer sur les ressources de l’archéologie, de la génétique et la linguistique pour « faire de toute trace une source d’histoire » comme l’indique la 4e de couverture.

Ce livre s’appuie sur une très riche iconographie démontrant la richesse architecturale, technique et artistique des différentes civilisations ayant peuplé l’Afrique depuis 20000 ans.

Sur la multitude de faits et de connaissances exposés dans ce livre, quelques-uns – dont certains peut-etre éminemment anecdotiques :

  • la longue réticence à envisager l’histoire de l’Égypte comme partie intégrante de l’histoire de l’Afrique. L’Égypte ancienne est ainsi très souvent rattachée au Proche-Orient alors que la civilisation égyptienne s’est développée le long du Nil et en relations constantes avec l’amont du fleuve, notamment le royaume de Nubie.
  • En Nubie, les royaumes de Kerma, Nepata et Méroé se sont succédés jusqu’au IVe siècle de notre ère.
  • L’Afrique antique était pleinement intégrée aux grands courants de communication et d’échanges du reste du monde. De nombreux échanges existaient entre la Corne de l’Afrique et la péninsule arabique, le monde grec et l’Afrique du Nord, etc.
  • Rappel de l’empire romain d’Afrique : guerres puniques entre Rome et Carthage au IIIe siècle avant notre ère. En 30 avant J.-C., Octave (futur empereur Auguste) annexe l’Égypte. Présence militaire romaine jusqu’au début du IVe siècle. L’empire romain d’Afrique sera lui aussi balayé par les invasions barbares à partir du milieu du Ve siècle.
  • Islamisation de l’Afrique depuis l’Égypte et jusqu’au Maroc, puis passage en Espagne. Les conquêtes arabes s’appuient sur les centres urbains existants, qu’ils développent par le commerce et assimilation progressive des populations et islamisation. Islamisation et arabisation ne vont pas forcément de pair, l’une pouvant précéder l’autre et réciproquement. Les conquêtes islamiques se déploient aussi au travers du Sahara, vers le sud de la Mauritanie et le Niger (cf. ville de Sijilmasa, dans le sud-est du Maroc, à la bordure du Sahara = ville-oasis qui sert de carrefour du commerce transsaharien).
  • Monde swahili entre IIe millénaire et XVe siècle : aire culturelle de la côte est de l’Afrique qui intègre les réseaux d’échanges vers l’océan Indien dès le IIe millénaire, jusqu’en Papouasie comme le montre la circulation des plantes entre l’Asie et l’Afrique. Madagascar colonisé par des populations d’origine austronésienne. Importance de la traite des esclaves entre Madagascar, les Comores et la péninsule arabique. On retrouve des esclaves africains jusqu’au Bengale. Esclaves = élément important de l’essor du commerce dans la région (dès XV-XVIe siècle).
  • Grands royaumes courtiers de l’Afrique occidentale : Mâli, Ghana, Songhay.
  • Royaumes chrétiens de Nubie (Nobadia, Alodia, Makouria) : de nombreuses églises, de nombreuses peintures et fresques se retrouvent dans ces régions célébrant la Vierge, Jésus, etc.
  • Royaume d’Aksum : conversion au christianisme à partir du IVe siècle. Les chrétiens d’Éthiopie = culte monophysite (ne reconnaissent pas la Trinité, le Christ n’a qu’une seule nature, divine).
  • A partir du XIIIe siècle, nouvel ordre géopolitique dans la région éthiopienne avec coexistence plus ou moins pacifique selon les périodes d’un royaume chrétien, d’un califat musulman (à Ifât) et le royaume païen de Damot. Mention des églises monumentales du roi Lalibela en Éthiopie, complexe d’églises creusées directement dans la roche et imitant l’architecture des monuments bâtis en pierre et en bois.
  • Régions du golfe de Guinée, nombreuses civilisations aussi : Igbo-Ukwu, Ifé… Jusqu’au XVe siècle, populations du golfe de Guinée peu tournées vers la mer : populations de pêcheurs exploitant les richesses des lagunes. Contrairement à ce qu’on peut penser, présence de l’homme depuis des millénaires dans les forêts équatoriales (pas de « forêt vierge »). Développement avéré de la déforestation et de la culture sur brûlis au tout début du Moyen Age (environ 500 de notre ère). Présence aussi dans la zone de transition avec la savane arborée au nord.
  • Exemple de civilisation forestière : Igbo-Ukwu (Nigeria). Présence avérée d’une tradition métallurgique, travail des perles, sépultures royales…
  • Royaume Kongo : cultures et civilisations dans le bassin du fleuve Congo. Royaume Kongo développa des relations avec les Portugais lorsque ceux-ci atteignirent l’embouchure du fleuve Congo au XVe siècle. Capitale du royaume : Mbanza Kongo. Le roi du Kongo se convertit au christianisme : nombreux échanges commerciaux avec l’Europe au XVIe siècle : exportations de cuivre, ivoire, raphia, peaux de fauves, esclaves aussi. Le Portugal fonda sa propre colonie en Angola qui bien vite entra en rivalité avec le royaume Kongo. Vassalisation progressive du royaume au fil du XVIIe siècle.
  • Coquilles de cauris : ces coquilles servirent de monnaie d’échange dans de nombreuses régions d’Afrique. Coquillage en provenance de l’océan Indien => traduit la présence de nombreux échanges entre ces aires géographiques. Cauris s’appelle aussi « porcelaine » car ressemble à une vulve de truie => lorsque les Occidentaux ont découvert en Chine une vaisselle de céramique translucide évoquant la cauris, ils l’ont dénommée « porcelaine ».
  • Ouverture atlantique de l’Afrique avec les grandes explorations : plusieurs royaumes ou cités africains ont trouvé une place dans les échanges commerciaux => crise de civilisation majeure et encore mal expliquée secoue le golfe de Guinée au XIVe siècle avec abandon de nombreux sites d’habitat (peste noire ?) => les conquérants européens trouvent des civilisations bien moins prospères et puissantes qu’elles ne l’avaient été quelques décennies auparavant => élément facilitateur de la conquête coloniale.
  • Nombreux comptoirs se développent sur la côte africaine pour commerce avec Européens : esclaves mais aussi matières premières, cacao, métaux, etc. Ces comptoirs fortifiés permettent d’assurer la continuité du commerce / protection des marchandises stockées contre les pillards…
  • Rappel de l’ampleur de la traite transatlantique des esclaves : on estime à environ 12.5 millions le nombre d’esclaves embarqués de force pour les Amériques entre le XVI et le XIXe siècle (dont près de 5 millions vers le Brésil et l’Argentine).
  • Entre 20000 et 10000 ans avant notre ère, grandes mutations climatiques ont affecté l’Afrique et notamment le Sahara : période du Grand Aride (entre 20000 et 18000) à la fin du Pléistocène (peu de populations où uniquement près des points d’eau) – période d’humidification jusqu’au Sahara vert (début de l’Holocène entre 10000 et 8000 environ) => foyers de peuplement beaucoup plus riches à cette période (période des méga-lacs comme le Méga-Tchad).
  • Passage d’une économie de prédation à une économie de production
  • Spécificité de l’Afrique : plusieurs évolutions parallèles de civilisations au même moment / contredit interprétations évolutionnistes : des sociétés ont connu des évolutions différentes de l’évolution « linéaire » observée en Eurasie.
  • Rôle majeur du pastoralisme et de l’élevage bovin au fil de l’histoire africaine : civilisation de la vache, qu’on retrouve dans les peintures et gravures rupestres / vache = animal élevé pour son lait, rarement pour sa viande qu’on ne consomme qu’en de rares occasions, souvent rituelles / vache = symbole de prestige social, monnaie d’échange, etc. Encore aujourd’hui (cf. vaches sacrées rwandaises).
  • Longue histoire des chasseurs-cueilleurs d’Afrique : différents foyers (Bushmen en Afrique méridionale – Pygmées en Afrique centrale). Les populations de chasseurs-cueilleurs d’Afrique du sud, dont les territoires sont confisqués progressivement par les colonisateurs => populations marginalisées, décimées.
  • Sources de l’histoire de l’Afrique retracées en fin d’ouvrage : archéologie (traces matérielles) qui donne à lire autre chose que des traces écrites. Par exemple, la grande majorité des objets retrouvés sont des fragments de pots (céramique) / importance de l’artisanat potier dans de nombreuses sociétés africaines / potiers = très souvent des femmes => les traces retrouvées sont souvent des traces d’une histoire des femmes (différentes d’une histoire écrite qui retiendra plutôt une histoire masculine et élitaire). Rôle de la linguistique : on retrace l’origine des langues par des comparaisons entre zones linguistiques. Près de 2000 langues parlées aujourd’hui encore en Afrique. Rôle des traditions orales, dont on confronte les récits avec les traces matérielles.

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