Fabien Jobard et Jacques de Maillard. Sociologie de la police : politiques, organisations, réformes, Paris : Armand Colin, 298 p. (Collection U)
Ce manuel, destiné plutôt aux cycles M et D, propose une sociologie et une science politique de la police. L’ouvrage dépasse le seul cadre français et offre une approche comparative riche et passionnante.
Genèse et formation des institutions policières : les auteurs rappellent que la police est une institution neuve, qui n’a trouvé son cadre étatique qu’au XIXe siècle et dont institutionnalisation remonte en général au XVIIe siècle, avec la mise en place d’institutions policières municipales (Paris, Namur…).
Rappel de l’opposition idéologique entre conception française de la police (secrète, au service de l’État) et la conception anglaise (police émanant du corps social pour assurer la tranquillité publique) : Robert Peel, le fondateur de la police de Londres, s’est d’ailleurs largement servi du modèle français comme épouvantail. L’auteur souligne une forme de paradoxe dans l’institutionnalisation des polices. Plutôt que d’être émanation de l’État central, elles ont généralement procédé des municipalités et d’une demande et d’un assentiment des élites urbaines. L’institution de la police est fortement liée à l’urbanisation. Par ailleurs, souligne aussi la forte circulation des modèles policiers au niveau international, les élites policières ayant depuis l’origine échangé, commercé, etc. =======> forte autonomie de l’institution policière.
Les organisations policières sont marquées par le poids de la hiérarchie, une structure pyramidale et une logique de commandement. En même temps, les échelons inférieurs disposent d’une marge de manœuvre considérable dans l’appréciation des consignes. « Au caractère hiérarchique et autoritaire s’opposent l’autonomie du policier ou de la patrouille et la nécessité de faire avec des syndicats puissants, et une pression croissante de l’opinion publique et des institutions de contrôle, lesquelles de surcroît se multiplient et se diversifient. »
Les professions policières : processus important et toujours en cours de démilitarisation, de féminisation, de diversification des profils (nombre de diplômés, origines ethniques…). Poids de la culture professionnelle. L’auteur souligne par exemple que la féminisation de la police s’est accompagnée d’un assentiment ou d’une acceptation des valeurs viriles de la police par les femmes policières plutôt que par la mise en œuvre de nouvelles normes de fonctionnement. La culture professionnelle est également très morcelée, en fonction des services : intervention, maintien de l’ordre, police de rue, police judiciaire…
Les activités policières : diversité des activités policières (polices de tranquillité publique, d’investigation criminelle, d’information, des foules) et complexification puisque les terrains d’action des différentes polices tendent à se mêler (exemple de la lutte contre le terrorisme).
Les auteurs consacrent un chapitre entier aux déviances policières : violences, corruption, discriminations, déviances organisationnelles… Les déviances policières peuvent remettre en cause la légitimité de la puissance publique. Rôle central du scandale dans l’évolution de l’institution. « Est déviance policière ce qui ne peut plus être considéré comme un comportement normal. » (Emile Durkheim)
Réformes policières : exemple du community policing sur la base d’études conduites à partir des années 1960 pour remettre en cause le modèle professionnel de la police. Doutes sur l’efficacité des méthodes policières et écart grandissant entre attentes de la population et activités de la police.
Critiques à l’encontre du modèle professionnel :
- explosion de la petite délinquance dans les sociétés occidentales depuis l’après- Seconde Guerre Mondiale. Cette délinquance de masse entraîne une dégringolade des taux d’élucidation des crimes et délits. En France, le taux d’élucidation est divisé par 2 entre 1950 et 2002 (divisé par 3 pour les vols) => une police face à un nombre croissant de sollicitations et de moins en moins en mesure d’y répondre
- dérèglement des relations police / population : émeutes urbaines, perte de confiance des populations…
- critiques de l’efficacité même de la police : ex d’une étude menée à Kansas City en 1972-1973 démontrant l’absence d’effet des patrouilles aléatoires tant pour la lutte contre la délinquance que pour le sentiment d’insécurité / la rapidité du temps d’intervention de la police ne semble pas non plus avoir d’effet sur la résolution.
Ces critiques vont déboucher sur des réformes et de nouvelles théories. Exemple : théorie de la « broken window » de Kelling et Wilson : les polices devraient se concentrer sur la réduction des désordres que sur les crimes sérieux.
Mouvement du community policing = tendance plutôt que modèle précis ou que technique. Mouvement qui se heurte à de nombreux obstacles comme la culture professionnelle rétive au changement, l’évaluation par le chiffre et la quantité…
L’ouvrage fait aussi un point sur la « multilatéralisation » des polices : d’autres acteurs que les acteurs étatiques exercent des activités de police et ils sont de plus en plus nombreux. Acteurs privés (sécurité privée) – acteurs communautaires (villes, communautés religieuses, entreprises…).
Ci-joint un compte-rendu plus complet par Fabien Ocqueteau : https://journals-openedition-org.ressources.univ-poitiers.fr/champpenal/9201
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